Le rôle de l'animal
Aujourd’hui de plus en plus de personnes sont sensibles à la question du bien-être animal et s’interrogent sur notre relation avec les bêtes. Ceci est une bonne chose car ces questions ont été longtemps ignorées. (Voir à ce sujet un article que Jean-Luc a écrit dans le journal local IPNS en Septembre 2017 via le lien suivant : Articles – On n’est pas des bêtes ! – Journal d’information et de débat du plateau de Millevaches (journal-ipns.org)
Une vision très critique de l’élevage s’est ainsi développée récemment, allant jusqu’à condamner la consommation de viande et même toute utilisation de l’animal, comme dans l’attelage ou le travail du sol. Si certaines condamnations sont légitimes, le procès de l’élevage est en général mal posé, avec des considérations partielles voire partiales.
De quoi parle-t-on?
Il est clair que la consommation de viande des pays riches est excessive. Cette surconsommation est très largement celle de viandes de qualité médiocre issues d’élevages industriels. Ces élevages contribuent fortement aux déséquilibres environnementaux : d’une part avec des pollutions importantes dues aux monoproductions intensives d’aliments du bétail dans des zones très spécialisées, dans bien des cas après destruction complète du milieu d’origine (le cas du soja d’Amérique de Sud est emblématique ; s’y ajoute le problème de l’utilisation de semences OGM) et d’autre part avec des pollutions non moins problématiques dans les zones d’élevages concentrationnaires ; sans oublier bien sûr toutes les nuisances dues au déplacement de millions de tonnes de marchandises à travers la planète. Ce modèle d’élevage doit bien entendu être condamné car il contribue au dérèglement climatique sans parler de ses effets déstabilisateurs sur les agricultures vivrières.
En 1992, François Roelants du Vivier, alors député européen belge, avait bien résumé l’évolution mortifère de l’agriculture européenne : « D’une magnifique solution (la ferme en polyculture élevage), on a créé deux problèmes (les cultures intensives et les élevages industriels)« . En effet, la situation est tout autre dans une ferme de polyculture-élevage, qui plus est quand elle est à taille humaine. Là, l’élevage de différents types d’animaux est un élément indispensable à l’équilibre agroécologique de la ferme car il profite aux cultures et réciproquement. Plus cet écosystème est diversifié, plus il devient stable et résilient. Par cette approche écosystémique, on construit et on renforce une entité qui tend vers l’autonomie. Et si des gaz à effet de serre sont émis à un stade du cycle, l’important est qu’une quantité équivalente de ces gaz soit fixée à un autre stade. L’optimum est atteint quand une quantité supérieure est stabilisée ; c’est le cas quand la fertilité globale du domaine augmente : le modèle est alors vertueux. A l’opposé, les systèmes industriels sont « ouverts » et donc à la fois gros consommateurs d’intrants et gros pollueurs.
Privilégier un type d’agriculture, c’est aussi produire un type de paysage. Sur la montagne limousine, renoncer à l’élevage et donc aux prairies, landes et parcours, c’est à terme laisser la place à la forêt. Certes, les forêts jouent un rôle écologique majeur et leur présence est indispensable. Mais doit-on leur abandonner tout le territoire ? Et ici aussi nous pourrions nous interroger sur le type de forêt souhaitable (monoculture industrielle de résineux ou forêt diversifiée et jardinée ?).
Enfin, la présence d’animaux sur une ferme créé une ambiance particulière et contribue à lui donner une âme ; le chant du coq et le son des sabots du cheval sur les pavés de la cour font naître une dimension particulière, sonore, émotionnelle… Ce qui passe par nos sens ne contribue-t-il pas à nous nourrir aussi ? Notre vie intérieure est-elle indifférente aux tableaux que lui offre la nature, comme dans ce poème de Leconte de Lisle ?
« Non loin, quelques bœufs blancs couchés parmi les herbes,
Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
Le songe intérieur qu’ils n’achèvent jamais.«